Omnicanal et Influence : les codes de l'influence vont-ils déborder la réglementation en santé ?

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Les réseaux sociaux sont aujourd’hui omniprésents avec l’essor de nouveaux relais d’opinions. Le  phénomène de l’influence impacte progressivement le monde de la santé avec l’émergence  d’influenceurs patients, professionnels de santé, paramédicaux ou communicants. De nouveaux  leaders d’opinions de plus en plus plébiscité par les industriels et autres acteurs de santé. La  réglementation est-elle adaptée à ce phénomène ? Décryptage.

Progressivement, l’influence s’impose comme un mode de communication essentiel, notamment pour  la communication auprès des patients, du grand public mais également des professionnels de santé.  Pour répondre à cet usage croissant des réseaux sociaux par les professionnels de santé ou patient, les  acteurs de santé, et notamment les industriels, intègrent l’influence dans leurs dispositifs de  communication ou d’interactions.

A l’instar d’autres domaines ou secteurs d’activité, on observe l’essor de créateurs de contenus (ne les  appelez plus influenceurs…) dans le monde de la santé, également appelés Digital Opinion Leader  (DOL), qui se constituent de fortes communautés sur les principales plateformes sociales comme  Twitter, Facebook, Instagram, YouTube, LinkedIn ou TikTok.

Parmi ces créateurs de contenus, de plus en plus de professionnels de santé se lancent dans l’aventure  et génèrent de fortes communautés pour devenir des DOLs.


Tendance : des professionnels de santé recrutés par des agences d’influence

Les réseaux sociaux ont provoqué l’émergence de nouveaux leaders d’opinion en santé, des étudiants  et internes, des jeunes praticiens en ville ou à l’hôpital, des personnalités médiatiques, des  paramédicaux, des patients… 

A l’instar des Key Opinion Leader, ces Digital Opinion Leader ont une certaine influence sur les  plateformes sociales comme Twitter, YouTube, Instagram ou TikTok où ils animent des communautés  composées de professionnels de santé, étudiants et autres acteurs de santé. 

En se créant une communauté, le DOL a pour objectif d’enrichir sa pratique quotidienne, d’être plus  proche de ses patients et d’échanger avec des confrères. Les principales thématiques abordées portent  sur la vulgarisation santé, l’accompagnement des patients, le décryptage des actualités médicales,  l’entraide entre pairs et retours d’expérience… 

On observe différents types de Digital Opinon Leaders sur ces réseaux sociaux : 

Des personnalités médiatiques qui drainent de forte communauté en bénéficiant de leurs  visibilités dans les médias (TV, Radio etc) : Dr Gérald Kierzek (Instagram, Twitter…), Dr Michel  Cymes (TikTok), Dr Damien Mascret (Twitter) 

Des KOL qui s’emparent des réseaux sociaux pour consolider leur position d’influenceur et  augmenter leur audience (ex avec Pr Morgan Roupret ou Pr Fabrice André) 

Des médecins « geeks » qui ont une appétence naturelle pour le digital et qui se sont  constitués de fortes communautés en étant des pionniers sur ces sujets (ex avec le Dr  Dominique Dupagne ou le Dr Didier Mennecier) 

Des jeunes médecins généralistes qui utilisent quotidiennement les réseaux sociaux pour faire  de la veille, s’informer ou interagir avec leurs pairs(ex avec Dr. Walid Mekeddem alias Aviscène  ou le Dr Baptiste Beaulieu) 

Des spécialistes qui centrent leurs contenus sur certaines spécialités, aires thérapeutiques  avec de grandes communautés notamment sur Instagram ou TikTok ( ex avec Dermato Drey  ou Dr Never 

Des hospitaliers qui axent leurs contenus sur la vulgarisation santé comme The French  Virologist, Dr Iza ou Primum Non Nocere 

Des internes ou étudiants qui développent de fortes communautés pour échanger des  conseils et des bonnes pratiques avec leurs pairs ou partager vécu et expériences (ex avec  Carla Valette sur TikTok ou The French Radiologist sur Instagram) 

Des pharmacien.ne.s qui délivrent quotidiennement des conseils aux internautes et nouent  de nombreux partenariats (ex avec Les Conseils Pharma de Léa ou La Bulle Pharma) • Des paramédicaux qui diffusent des conseils autour de l’activité physique, des conseils  hygiéno-diététiques… (ex avec le kiné Major Mouvement ou la sage-femme Charline) 

Ce phénomène s’est accéléré depuis décembre 2020 et la suppression d’interdiction pour un  professionnel de santé inscrit à un ordre de faire de la publicité directe ou indirecte.  

Des agences d’influence se sont emparées du sujet pour contractualiser avec ces nouveaux créateurs  de contenus. Ces agences s’occupent de la mise en relation avec des annonceurs, de la proposition de  campagnes, de la gestion de la relation, des reportings… 

Certains professionnels de santé dénoncent aussi certaines dérives de praticiens dans cette pratique  d’influence. C’est le cas du Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste et directeur médical de Doctissimo (1) : « On est face à un no man’s land, une espèce de zone de non droit ordinale, où la morale et la  probité ont disparu. Un professionnel de santé ne doit pas tirer profit de son image, nous ne sommes  pas des influenceurs. On peut – et on doit informer sur nos pratiques de soins mais pas faire de la 

publicité, je rappelle encore une fois l’article 13 du Code de déontologie médicale ».


L’influence de plus en plus intégrée dans les stratégies omnicanales

Face à ces évolutions, notamment dans l’usage des médias sociaux par les professionnels de santé et  patients, les industriels se tournent de plus en plus vers ce mode de communication par des tiers. 

Ils misent sur la sollicitation de créateurs de contenus pour répondre à différents objectifs : 

• Un levier pour gagner en authenticité : impact émotionnel plus fort que sur les autres canaux • Encourager le bouche à oreille : viraliser les messages 

• Intégrer une communauté à ses campagnes : bénéficier de l’audience du créateur de contenu • Obtenir de nouveaux abonnés et augmenter sa propre audience 

• Une nouvelle manière de communiquer plus centrée sur les usages d’aujourd’hui • S’appuyer sur une caution médicale ou paramédicale reconnue 

• … 

On observe en premier lieu la sollicitation de créateurs de contenus patients pour sensibiliser à une  pathologie, mener une campagne de prévention ou accompagner une association de patient dans la  collecte de don. 

En partageant leur quotidien, leur vécu avec la maladie, certains patients deviennent influents sur les  médias sociaux en générant de fortes communautés, principalement sur Instagram, Facebook, TikTok et YouTube : 

• Sortir une pathologie de l’ombre 

• Rompre l’isolement face à la maladie 

• Sensibiliser le grand public 

• Exutoire dans certains cas 

A titre d’exemple de collaboration, on peut citer la websérie Dermatite Atopique menée par Sanofi  avec We Are Patients qui met en scène une patiente influente, Marine Noret, pour sensibiliser à cette  pathologie et partager l’expérience patient.

Au-delà de cette intégration dans des stratégies omnicanales patient, on observe également le  déploiement de campagnes qui s’appuient sur des DOLs professionnels de santé ou paramédicaux. Ces  campagnes ont plusieurs objectifs : 

• Vulgariser un sujet santé en s’appuyant sur une caution médicale ou paramédicale :  sensibiliser à une pathologie et favoriser le diagnostic 

• Apporter du contenu différenciant pour nourrir les modes d’interactions avec les  professionnels de santé : portail web pro, campagne emailing, approved email… • Animer un événement digital type webinar en s’appuyant sur l’audience pro de ces  influenceurs 

Des professionnels de santé comme la dermatologue Dermato Drey ou l’infirmière Anaanas sont  régulièrement sollicités par des industriels pour la création de contenus. 

Un autre mode d’interaction, intégrant ces DOLs, est également de plus en plus plébiscité par les  industriels : le podcast. Ce canal audio permet de s’appuyer sur des Digital Opinion Leaders pour  animer des échanges, réaliser des comptes-rendus de congrès… 


Vers une évolution de la réglementation…

Aujourd’hui force est de constater que la réglementation n’est plus adaptée aux usages des créateurs  de contenus sur les réseaux sociaux. Avant de s’intéresser à l’impact sur la réglementation santé, il  convient de bien comprendre le contexte actuel de l’influence. 

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) en France s’est penché sur le sujet avec  la création en 2021 d’un observatoire de l’influence responsable avec pour objectif de vérifier  l’encadrement des posts sponsorisés dans le cadre d’une campagne de marketing d’influence sur les  réseaux sociaux. Pour l’édition 2022 (2), on observe : 

• une nette amélioration de la transparence des influenceurs sur leurs partenariats  commerciaux, passant de 73 % en 2020 à 83 % en 2021 

• la grande majorité des manquements en matière de transparence venaient plutôt de petits  influenceurs (moins de 10 000 abonnés), souvent par ignorance de la réglementation plus que  par malveillance 

Pour aller plus loin, l’ARPP a lancé en 2021 le Certificat de l’Influence Responsable (3) qui doit permettre  aux créateurs de contenus de protéger leurs audiences, de se différencier auprès des marques et de  préserver les valeurs d’un marketing d’Influence éthique et responsable. 

Ce certificat est mis en œuvre afin de promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable,  respectueux des publics. Il est exclusivement réservé aux Influenceurs collaborant avec des  annonceurs en vue de publier des communications commerciales ou institutionnelles. Il s’agit d’un  moyen pour toutes parties prenantes et intéressées (audiences, marques, agences, autorités…), de  s’assurer qu’un parcours de sensibilisation aux Recommandations déontologiques de l’ARPP a bien été  suivi par l’Influenceur et que le contrôle des connaissances acquises lors de ce parcours a été validé  avec succès. A noter que ce certificat est payant.


Ce sujet de l’influence éthique est également une priorité du Ministère de l’Economie avec le  lancement d’une consultation publique, initiée par Bruno Le Maire, pour encadrer le métier de  créateur de contenu et protéger les citoyens / consommateurs. Quatre grandes thématiques ont été  identifiées : 

• les droits et les obligations des influenceurs pour permettre de poser une définition légale de  l’influenceur / créateur de contenus et de l’agent d’influenceur 

• la propriété intellectuelle avec notamment le souhait de créer un site d’information à  destination des influenceurs pour les protéger 

• la protection des consommateurs avec notamment l’idée de renforcer les obligations des  plateformes numériques ou la création d’un guide de bonnes pratiques et d’un site dédié pour  les créateurs de contenus. 

• la gouvernance du secteur en proposant par exemple la création d’un label ou en  encourageant la fondation d’une fédération professionnelle pour aider les influenceurs. 

Autre signe d’une volonté de régulation, la création début 2023 de l’Union des Métiers de l’Influence  et des Créateurs de Contenu (UMICC) qui est la fédération professionnelle regroupant les acteurs du  secteur de l’influence : agences d’influence, agences de créateurs de contenu, créateurs de contenu...  (4) 

L’objectif de l’UMICC est de « promouvoir une image positive du secteur et des créateurs de contenus  auprès du public et dans les médias, proposer les évolutions et réformes nécessaires aux pouvoirs  publics afin que le secteur de l’influence bénéficie d’un environnement adapté à son développement ET  faciliter le travail quotidien des créateurs de contenu en les aidant à connaître leurs droits et leurs  devoirs. » 

…et un impact sur la réglementation en santé

Cette évolution de la réglementation pour un encadrement plus éthique impacte évidemment les  créateurs de contenus du domaine de la santé qui se doivent de respecter les recommandations  déontologiques de l’ARPP. 

Au-delà de cette réglementation globale, la réglementation en santé évolue progressivement.  Initialement, le 1er de l’article L.1453-1 du code de la santé publique couvre la publication des avantages procurés à un professionnel de santé « influenceur ». Dans le cadre du plan Ma Santé 2022,  le décret d’application n° 2019-1530 du 30 décembre 2019 définit les informations que les entreprises  pharmaceutiques doivent rendre publiques dans le cadre des conventions passées avec les  « influenceurs », qui sont des « personnes qui, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, présentent  un ou plusieurs produit(s) de santé, de manière à influencer le public. ». 

Elles ont obligation de rendre publiques : 

• les conventions qu’elles concluent avec les « influenceurs » 

• les rémunérations versées et les avantages consentis à ces personnes 

• la dénomination sous laquelle le créateur de contenus exerce son activité d’influence 

Mais en dehors de ce volet transparence, la réglementation en santé n’est pas suffisamment adaptée  aux usages observés sur ces réseaux sociaux, notamment par le biais d’influenceurs. 

La réglementation doit évoluer, notamment au niveau des sanctions, pour les plateformes sociales. On  observe certaines dérives comme récemment sur TikTok avec le mésusage d’un traitement du diabète  pour perdre du poids partagé par certains influenceurs aux fortes communautés. Autre exemple avec  des défis comme le « Cicatrice Challenge » dont le principe est de se filmer en train de se pincer la joue  très fort afin de laisser apparaître une marque rouge ressemblant à une balafre ou cicatrice. Un défi  dénoncé par les dermatologues. 

Côté industrie pharmaceutique, la réglementation sur la communication auprès des patients et du  grand public est évidemment respectée mais il manque un cadre clair sur la sollicitation de créateurs  de contenus. Aujourd’hui, certains laboratoires collaborent avec des influenceurs mais d’autres  n’osent pas se lancer faute d’un cadre clairement défini. Quand on sait que pour les projets digitaux et  l’utilisation des réseaux sociaux, les équipes réglementaires des laboratoires se réfèrent à la « Charte  pour la communication et la promotion des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux)  sur Internet et le e-media » datant de 2014… 

Clairement aujourd’hui, les usages avancent plus rapidement que la réglementation concernant ce  sujet de l’influence. Face à l’omniprésence des réseaux sociaux, les industriels doivent intégrer ces  canaux dans leurs stratégies omnicanales, notamment par le biais de tiers comme les créateurs de  contenus. Adapter la réglementation est un sujet central aujourd’hui pour déployer des campagnes  éthiques et limiter toutes dérives. 

Rémy Teston 

Consultant digital / Expert e-santé – Buzz E-santé

L’avis Digital Pharma Lab : 

✓ Avec les réseaux sociaux et les technologies digitales, les influenceurs à succès sont eux aussi rentrés dans l’économie exponentielle qui se caractérise par l’acquisition de grands volumes de clients ou de followers très divers en un temps très court. 

✓ Alors que la visite médicale est strictement encadrée et le travail scientifique et d’influence traditionnel avec les KOL (Key Opinion Leaders) fortement réglementé et transparent, l’influence digitale représente un terrain nouveau qui à la fois fascine et fait peur à l’industrie.

✓ Les industries de santé ont un rôle particulier, et même si le grand public comme les professionnels sont maintenant tous consommateurs de réseaux sociaux et d’informations vulgarisées ou plus pointues, elles doivent associer qualité et éthique pour générer et conserver la confiance des citoyens et des pouvoirs publics. 

✓ LinkedIn connaît une croissance fulgurante de médecins inscrits en France : on estime leur nombre à plus de 30000 en 3 ans. 

✓ Certains y prennent la parole avec détermination comme le docteur Cédric Villeminot pour une médecine plus digitale ou le docteur Alain Tolédano pour une médecine plus intégrative. 

✓ Cette nouvelle ouvre en fait un champ extraordinaire de créativité permanente et pour longtemps : c’est un levier fondamental pour l’efficacité économique d’une stratégie omnicanal, et une formidable opportunité pour les industriels d’innover pour mieux communiquer et renforcer la confiance.


1. Réseaux sociaux : certains professionnels de santé à la limite de la publicité – Doctissimo – 10 mars 2023 2. Observatoire de l’influence responsable 2021/2022 – ARPP – Septembre 2022 3. Certificat de l’Influence Responsable _ ARPP 

4. Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (UMICC)